Réponse à Edouard Boulogne, auteur d'Afrocentrisme en diable.

Publié le par Kenya Suwedi

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Il faut croire que le dévoilement méthodique de l’origine de l’homme anatomiquement moderne entrepris par les savants de bonne foi, de même que le rôle de l’Afrique dans la formation, la sauvegarde, et la transmission des sciences universelles, doit certainement une part de son auréole actuelle à la lumière vive qui éclaire désormais les chemins de la Connaissance bien souvent obscurcis par les constructions imaginaires d’une littérature prolifique sur l’inégalité des races et infaillible sur la hiérarchisation des couleurs de la nature. « La vérité est éternelle » écrivait Joseph-Anténor FIRMIN dans son essai De l’Égalité des races humaines (1885). L’ouvrage d’avant-garde présentait au public électrisé par les louanges laborieuses de GOBINEAU et les autopsies fantaisistes de BROCA quelques pépites noires, inédites, ensevelies sous la boue des Lumières. Pourtant, la révolution des faits rapportés par le tout nouveau membre de la Société d’Anthropologie de Paris appela une virulence accrue de la part des savants qui la combattait. La voix « dissidente » se perdit dans le tumulte. Mais, aujourd’hui elle reparaît seule, debout, claironnante, inébranlable, proclamant partout où vivent les hommes que les Grecs, éducateurs de toute l’Europe, ont été les élèves de l’Afrique. Cette Afrique contre laquelle on a tant écrit. Maintenant que nous voyons clairement l’étendue de l’erreur qui, durant ces derniers siècles fameux, a caractérisé la science officielle lorsqu’elle raisonnait pour statuer sur l’inégalité des races humaines, maintenant que nous savons quelle barbarie cette science tourmentée a fait naître dans les cerveaux des membres les plus éclairés de la race du Caucase littéralement irradiée par sa funeste influence, on ne peut que mesurer avec beaucoup d’accablement l’immensité du travail qu’il reste à accomplir….osons le dire : au nom de l’Humanisme. Défi bien digne d’occuper tous les hommes soucieux de justice et de vérité.


Un siècle n’est rien, dit-on, si l’on juge l’histoire plusieurs fois millénaire du peuple noir. Cela fait près d’un siècle, en effet, que la simple clairvoyance de Benito SYLVAIN, frère d’Haïti, lui fit se représenter la nécessaire solidarité de tous les Noirs contre « le préjugé de couleur », pour le « relèvement social des Noirs ». Cette année-là, l’infatigable promoteur de « la Régénération Africaine » entreprit comme il l’écrit lui-même « le voyage en Abyssinie qui représente dix jours en mer et trente-et-un jours consécutifs de route terrestre à dos de mulet, voyage au cours duquel j’aurais pu mourir misérablement plus d’une fois, soit par la balle ou la lance d’un maraudeur du désert de dankali, soit par la dent d’une de ces bêtes fauves qui, un soir, dévorèrent ma monture à peine dessellée; j’ai entrepris, dis-je, un voyage aussi coûteux, aussi pénible et aussi périlleux uniquement pour la satisfaction intime de voir de mes yeux un congénère illustre, le Négus Ménélik, dont les magnanimes vertus font réellement honneur, non seulement à la race noire, mais encore à l’humanité tout entière ».


Edouard BOULOGNE perpétue l’erreur dans laquelle se placent les chercheurs, parfois de bonne foi, qui jouent toujours l’analyse de concepts philosophiques et sociologiques africains avec des lunettes européennes. Dire que l’Afrocentrisme – je rappelle que le terme « afrocentrisme » n’est pas le terme approprié pour désigner le paradigme qui justifie ce texte. On parle au contraire d’Afrocentricité – Dire que « l’Afrocentrisme est une forme de l’hitlérisme », sachant qu’Hitler était Européen et non Africain, étale naturellement la faiblesse des constructions psychologiques de l’auteur de ce texte. De plus, Monsieur BOULOGNE pose Gaston KELMAN comme modèle et l’universalisme comme ambition ! Belle ambition que partageaient en leur temps les auteurs des Lumières, Voltaire le premier, et dont on sait la funeste conclusion pour la race noire. Comme j’ai pu le dire ailleurs, sachons que les gros volumes qui, en Europe, en Arabie, ont la prétention d’apporter des « lumières » sur les « ténèbres » de l’Afrique sont l’œuvre d’auteurs que caractérise avant tout un regard paternaliste, colonialiste et raciste : paradigme incapable par essence de cerner une réalité qui lui échappe. Dira-t-on à un Malinké de saisir l’intime pensée celtique au point que le Celte en fasse son unique référence ? et dans la langue du Malinké ? Une pensée africaine, même chancelante, vaut mille pensées européennes au sujet de l’Afrique.

 

Le Noir dérange. Mais qui ? En Europe, l’esclavage est devenu un « crime contre l’humanité », du moins c’est ce que disent les médias sans rappeler en quoi à consister le crime, dire qui est le criminel, et de quelle humanité on parle. Et on décrète des journées commémoratives…et voici des Noirs qui, à la télévision française, vitupèrent contre les manuels d’histoire français et demandent que la « vraie » histoire de l’esclavage des Noirs soit racontée aux petits Français dans les écoles françaises, peut-être comprendront-ils que cette « minorité visible » n’est pas en France par hasard ! « Pour la plupart des Français, écrit Françoise Vergès, l’esclavage appartient à l’histoire ancienne. Les descendants d’esclaves sont citoyens français, leurs territoires sont intégrés à la République (…) pourquoi remuer le passé ? Mais regardez donc l’avenir ! Vraiment, vous pensez que c’est si important ? » et on dit : « Les Noirs, toujours dans le passé ! »…et je pose une question : mais comment voulez-vous, les Noirs, qu’une histoire qui veut révérer COLBERT, MONTESQUIEU, VOLTAIRE, NAPOLÉON, Jules FERRY, Jules VERNE, ROUSSEAU, ces racistes notoires, soit la même qui redonne à vos ancêtres strictement anonymes la dignité qu’on leur a si violemment ôté ? Y en a même parmi vous qui s’appellent Rousseau, Voltaire, Napoléon ! Comment voulez-vous marier ces deux réalités historiques, celle de l’homme blanc et celle de l’homme noir, sans susciter des questions embarrassantes pour les enseignants français ? Pendant que l’un était aux anges, l’autre était aux fers. La France, l’Europe, c’est Napoléon contre Toussaint Louverture ! Comment voulez-vous rendre « universellement » cet antagonisme dans les ouvrages à vocation historique ? Voici SCHOELCHER ! Le libérateur ! Il était blanc, lui. Que l’on brandit comme un trophée en Occident. Par lui seul, on arrive à jouer la chanson que tous les Blancs n’étaient pas pour l’esclavage des Noirs, ce « trafic honteux ». SCHOELCHER était contre, si les Noirs sont libres, c’est grâce à lui. Ah! La bonne fable. Où est passé Dutty BOUKMAN ? Où est passé Harriet TUBMAN? Où est passé ADANDOZAN ? Et les autres ? Où sont-ils ?! Ces Noirs des Kilombo, ces Noirs des Plantations, ces Noirs des Cales, humiliés, violées, exhibés, fouettés, mutilés, rompus vifs, ces Noirs qui n’ont pas attendu SCHOELCHER, l’humaniste, l’universaliste ! SCHOELCHER est une imposture que l’on souhaite diluer absolument dans toutes les consciences molles et impubères de France. SCHOELCHER et tant d’autres… Voilà pourquoi l’Afrocentricité dérange.

 

Kenya SUWEDI

 

Article d’Édouard Boulogne : http://www.lescrutateur.com/article-5930070.html

 

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